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La vieille
coquette
Auteur Nicky Barthe
Etait-elle toujours jeune et belle ? Comme dans
l'histoire de Blanche-Neige, telle la reine, Jeanine s'interrogeait devant son
miroir. Chaque matin elle passait deux heures dans sa salle de bains à regarder
complaisamment son visage et son corps. Depuis sa retraite, quinze ans
auparavant, elle pouvait donner libre cours à cet égocentrisme qu'elle nommait
coquetterie.
A soixante-dix ans et des poussières il semblait bien
pourtant que la belle avait fait son temps. Beaucoup trop égoïste pour prendre
mari, elle ne gardait de ses relations amoureuses que les bijoux qu'on lui avait
offerts. Non qu'elle fut matérialiste, le coût de ces parures confortait sa
propre valeur : s'ils (ses amants) y avaient mis le prix c'est qu'elle le valait
bien ! Dans son nid douillet, vêtue d'un déshabillé rose, elle savourait le
bonheur d'être seule, les vagues relations qu'elle gardait n'étant destiné qu'à
parader.
Quel bonheur de se prélasser pendant une heure dans
un bain de mousse onctueuse, de badigeonner ensuite son corps de la dernière
crème miracle qu'elle venait d'acheter. Ses journées meublées de toutes ces
petites joies répétées étaient d'une grande délectation. Une cigarette ou un
chocolat à la liqueur pour la bouche, une musique en sourdine pour l'oreille, un
peu de parfum pour le nez, accessoirement un livre et c'était LE PLAISIR !
Hélas des obligations bassement matérielles : les
courses, le paiement des factures et autres corvées la contraignaient à sortir
parfois et sa journée en était irrémédiablement gâchée. Quelques copines,
retraitées de la Poste comme elle, la visitaient parfois mais leurs
conversations de vieilles mémères aigries ne l'intéressaient pas vraiment !
Elles étaient beaucoup trop vieilles et ne parlaient que de rhumatismes et de
maladies, quand elles ne badaient pas sur leur progéniture respective ; quel
ennui !
A chaque début de saison Jeanine inventoriait sa garde-robe et
se rendait dans sa boutique préférée qu'elle dévalisait frénétiquement. La
patronne, une amie, lui refilait les invendus de l'année précédente et la
complimentait sur son éternelle jeunesse : - Mais Jeanine, comment
faites-vous pour être toujours aussi jeune ? Et ce corps, ce corps parfait, et
vous ne faites pas de gym, dites-vous ! Oh incroyable ! Il lui avait semblé
entendre un jour la vendeuse qui rigolait, mais elle s'était vite rassurée
lorsqu'en sortant du salon d'essayage, béate d'admiration la commerçante s'était
écriée : - Magnifique ! Ce jean clouté pattes d'éph avec ce blouson de cuir
rouge sont faits pour vous ! Allongée sur un transat au
soleil, Jeanine prenait une belle couleur cuivrée. Dès le mois de mars, sur son
balcon, elle entamait " sa cure bronzante " comme elle l'appelait ; en juin elle
était rouge, en août elle était noire ! Un coup de téléphone, la veille au soir,
la laissait perplexe. Un certain Bernard l'avait contactée, Bernard Canichou de
Lapalud dans le Vaucluse d'où ils étaient originaires tous les deux. Cela
faisait…. Elle avait calculé…. Une soixantaine d'années qu'ils ne s'étaient pas
vus. Tant que ça ? Comme le temps passait vite ! Elle se demandait, d'abord
comment il l'avait retrouvée et ensuite pourquoi ? Evidemment l'annuaire pensa
t-elle ! Pour une surprise c'en était une !
Bernard avait été son premier
amour, ils avaient alors quinze ans chacun et cette flamme avait duré deux ans,
jusqu'au départ de Jeanine pour Paris, lorsqu'elle avait réussi le concours des
Postes. Le souvenir de cet amour platonique d'ados l'émouvait : elle se revoyait
au cinéma avec lui main dans la main, elle se souvenait même du film : King Kong
! Chaque scène effrayante avait été prétexte à de fougueux baisers. Après une demi-heure
de conversation, elle savait qu'il était veuf, avait deux enfants mariés et
qu'il était même grand-père ! Beurk ! Grand-père, quelle horreur ! Jeanine ne
serait jamais grand-mère et elle en était très heureuse. Rendez-vous fut donc
pris pour le lendemain onze heure trente dans un café du centre ville, puisqu'il
était de passage à Marseille chez l'une de ses filles !
Etait-ce
les racines communes, ce si joli petit village, ou bien la pureté des sentiments
d'alors qui la bouleversaient tant, Jeanine ne savait le dire. Cet émoi n'était
d'ailleurs pas vraiment conscient, une fugitive sensation, tout au
plus.
Un premier amour, premier amour Ne s'oublie jamais,
s'oublie jamais Un premier amour On le cherche toujours Dans d'autres
amours Toute sa vie on court après Et tous ces baisers qu'on s'est
volés Plus que donnés ces gestes innocents Nous engageaient pour si
longtemps…..
La nuit dernière cette chanson, qu'elle avait dans la
tête depuis, avait perturbé son sommeil, c'est dire si elle était troublée ! Le
jean clouté et le blouson de cuir rouge s'imposaient pour cette rencontre
exceptionnelle. Seule son look l'intéressait, à aucun moment elle ne se demanda
comment elle reconnaîtrait le beau Bernard ! Elle partit donc telle
une jeune fille à sa première rencontre, maquillée comme un sioux sur le sentier
de la guerre.
Le mistral s'était tu et la
journée était délicieuse. Elle entrouvrit le blouson rouge montrant le profond
décolleté de son corsage bleu. Une lourde croix d'or suspendue à un cordon de
velours noir atterrissait à la naissance de ses seins ! Elle se sentait belle !
Ses fesses en gouttes d'huile, moulées par le pantalon trop serré, tressautaient
mues par sa démarche dynamique. Seule entorse à la mode : les chaussures !
Malgré de nombreux soins, ses orteils s'ornaient d'œil de perdrix et elle
souffrait de ses pieds déformés. Elle ne pouvait donc chausser les ravissants
escarpins qui auraient allégé sa silhouette. Des godillots avachis au cuir
fatigué étaient tout ce que supportaient ses pieds ; ça restait une grande
contrariété !
A la terrasse
du café, les consommateurs se chauffaient au doux soleil de midi et Jeanine eut
un instant d'hésitation : devait-elle s'attabler à l'extérieur ou à l'intérieur
? Quelques regards s'étaient fixés sur elle, flattée, elle ébouriffa sa
chevelure d'un geste gracieux et pénétra dans la brasserie.
Devant le comptoir
étaient disposées quelques tables rondes et sur les cotés de petits boxs
permettaient un relatif isolement ; le point de mire de l'endroit était
assurément celui au fond à droite. Elle scrutait les clients en se faufilant
dans l'allée lorsqu'elle repéra, un monsieur, seul, à la chevelure à peine
argentée, élégamment vêtu d'un blazer bleu marine qui fumait un cigarillo. Son
cœur se mit à battre plus fort ; Ah ! son Bernard elle l'aurait reconnu entre
mille ! Plantée devant lui elle murmura : - Bonjour Bernard. L'homme
visiblement surpris écarquilla les yeux et répondit : - Madame, vous faites
erreur je ne m'appelle pas Bernard, mais Eric !
Jeanine, désarçonnée, en
oublia de s'excuser et lui tourna le dos. Il y avait maintenant un bon quart d'heure qu'elle
attendait et commençait à perdre patience. Elle alluma une cigarette. Son erreur
de tout à l'heure la faisait sourire, la personne était sans doute légèrement
trop jeune, à peine ! Elle avait scrupuleusement examiné tous les messieurs,
sans succès. D'ailleurs des hommes seuls, il n'y en avait pas beaucoup, ou des
très jeunes ou des très vieux, comme celui à sa gauche, chauve avec de grosses
lunettes et une canne. Sans doute aura t-il eu un empêchement, il aurait quand
même pu prévenir, pensa t-elle !
Un bruit attira
son attention, elle tourna la tête. Le vieux avait fait tomber sa canne, il se
baissait pour la ramasser et se redressait avec difficulté. Péniblement il se
dirigeait vers la sortie, mais non, il venait vers elle ! Arrivé à sa hauteur,
il s'apprêtait à s'asseoir : - Bonjour Jeanine, c'est moi Bernard
! Incrédule, elle aspira une bouffée de tabac blond, le regarda avec
condescendance et répondit : - Vous faites erreur, Monsieur, je m'appelle
Caroline !
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