L'avenir sourit aux ordures
Auteur Jean
Vilain
Comme je le disais déjà dans "À quand le tri total",
l'avenir sourit aux ordures. Ceci grâce à la crémation des corps.
Jusqu'à ces
dernières années peu pratiquée sous nos latitudes, sauf sur les hérétiques de
tout poil, sorciers et sorcières, possédés divers et variés et bien sûr, Jeanne
d'Arc. Elle est traditionnelle dans d'autres contrées du monde. Au Tibet à cause
des conditions climatiques, aux Indes pour un tas de raisons, ailleurs aussi, je
ne sais vraiment pas pourquoi.
Jusqu'ici, les cendres recueillies étaient soit gardé précieusement dans
une urne funéraire, soit répandues dans la nature, dans un endroit qui avait
séduit notre macchabée pour une raison ou une autre (il y a même eu quelques
farfelus qui ont payés très cher pour se faire envoyés dans l'espace). Bref, des
trucs qui servait à rien.
C'est fini, vient de s'ouvrir l'ère du macchabée
utile. Et cela grâce à Tony Mullen. Ce monsieur était fan de ball-trapp -vous
savez ce sport où on tire avec un fusil sur ce que l'on nomme des pigeons
d'argiles (des disques en terre qu'on jette en l'air grâce à un drôle d'appareil
en criant Pool et que le tireur rate en criant merde), le but étant d'éclater le
plus possible de ces saletés de pigeons à défaut de pouvoir tirer sur des vrais.
Or, ce monsieur dans ces dernières volontés a exprimé le souhait que ses cendres
soient incorporées dans des cartouches et tirées par ses amis en sa mémoire.
J'ai pensé un
moment utiliser ses cendres pour confectionner les assiettes utilisées dans le
ball-trapp (les pigeons d'argile dont je parlais plus haut) a déclaré sa
charmante épouse. Mais ses collègues n'ont pas aimé l'idée de tirer ainsi sur
leur ami, a t'elle ajouté.
Bref ce
monsieur, enfin, les cartouches ainsi réalisées vont être tirés en Irlande ainsi
que dans des clubs britanniques. En quoi ce Tony Mullen ouvre-t-il ainsi l'ère
du macchabée utile ?
Tout
simplement parce que grâce à lui tout va être permis. Le footballeur verra ses
cendres incorporées aux crampons de ses camarades de jeu. L'escaladeur en talc à
assécher les doigts (c'est grâce aux cendres de.......... que j'ai pu vaincre
cette falaise, déclare son meilleur ami...) Le champion d'athlétisme se verra
mêler à la piste en tartan d'un nouveau stade. On proposera aux électriciens et
aux gaziers de rassembler leurs cendres afin d'en fabriquer des tuyaux et des
gaines anti-conductrices. Les cendres des routiers seront consacrées à la
confection de pneus. Celles des peintres à celle de pigments (je vous laisse
deviner le prix qu'atteindraient des toiles peintes avec les cendres d'un
Picasso par exemple.) À vous d'imaginer comment vont finir celles d'un dealer.
Pour les bouchers se sera plus dur maintenant que les "farines animales" sont
interdites. Mais quoiqu'il en soit les perspectives sont
immenses.
Chacun d'entre nous à une petite ou grande passion
chevillée au corps, les quelques exemples que j'ai donnés plus haut ne sont que
le sommet de l'iceberg et l'idée que vos cendres vont se retrouver tous les
dimanches sur un terrain de foot n'est pas plus difficile à supporter que celle
qui vous imagine en train de pourrir au fond d'un trou. En tout cas pour moi.
Maintenant faut voir combien on va vouloir nous faire payer pour ces
petits délires. Parce qu'il faut déjà payer pour avoir le droit de pourrir ou de
se faire calciner. Étant donné que les cimetières occupent des surfaces
importantes (lesquelles pourraient très bien servir à la construction de
logements ou de toute autre surface commercialement monnayable), il convient
d'encourager la promotion de la crémation.
Je propose
donc que soit inclus dans le coût de celle-ci l'état post-crématoire (une sorte
de cadeau publicitaire en quelque sorte). Il est évident que si votre dernier
souhait est que vos cendres soient dispersées sur une plage des Seychelles, vos
héritiers préféreront exaucer votre vœux eux-mêmes plutôt que d'en confier la
réalisation à une entreprise de pompes funèbres, mais pensez un moment aux
pauvres héritiers de l'abruti qui aura décidé de se faire éparpillé par le vent
au sommet du mont Blanc le soir du noël suivant son décès, alors qu'ils ont le
vertige dès qu'ils sont sur la troisième marche d'un escabeau. En voilà qui
seront bien content, pour un prix modique de pouvoir réaliser les dernières
volontés de leur cher Papa qui venait juste de gagner au loto. C'est une nouvelle conception de la mort
qu'il nous faut intégrer...Je vois d'ici les encarts publicitaires: Ne passez
pas votre mort à ne rien faire. Mourrez utile !
On peut
supposer que les signataires d'un contrat MOURREZ UTILE pourrons bénéficier
d'une déduction fiscale. Ce qui, comme d'habitude ne changera rien pour les
pauvres qui de toute façon ne payent pas d'impôts (salauds de pauvres!) Lui, on
continuera à le faire pourrir en terre sans même un pardessus en marbre ou bien
ses héritiers devront s'endetter pour lui donner une sépulture décente et au
bout d'une trentaine d'années il ira finir de pourrir dans un ossuaire
quelconque si on a pas osé trouver d'ici là un moyen de rentabiliser ces restes.
Ça, c'est la
vision pessimiste. Mais je peux tout aussi bien supposer qu'une nouvelle
conception de la mort se fasse jour et que Vivre sa mort heureux ! devienne
notre slogan, que le droit de vivre sa mort heureux devienne un droit
contitutionnel, qu'au lieu de cacher la mort comme nous le faisons actuellement,
elle soit là, partout dans notre vie courante. Voilà qui nous changerait la vie
! Je suis sûr que nous ne verrions plus la mort de la même façon.
Deux
gosses dans la rue : - Tu me passe ton père ? (il parle du ballon que tient
son camarade.) - j'veux bien, mais si tu me prête ta grand-mère (c'est une
vieille patinette qui traîne dans l'allée.)
Les morts
seraient dans notre quotidien, ça nous obligerait à penser à eux (même si c'est
de temps en temps). Le mort abusif exigera que ses cendres soient incrustées sur
l'écran de la télé afin que sa famille passe son temps devant lui, à le
regarder. Hélas rien n'est parfait et le jour ou la télé va tomber en panne on
entendra : - Qu'est-ce qu'on va faire de Papa. On ne peut quand même pas le
mettre à la décharge ? Pareil pour le gars qui sera transformé en crampons de foot.
Ça s'use une godasse de foot et un jour il faut bien s'en séparer. Que va t'on
faire de toutes ces reliques (il faut bien appeler les choses par leur nom)? Les
enterrer, leur faire subir la crémation, les immerger (comme de vulgaires
ordures) ou bien les conserver dans des endroits spéciaux (qui auraient la
particularité de furieusement ressembler à une décharge) ou l'on viendrait se
recueillir une fois de temps en temps si le temps et l'odeur le permet.
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