Déjà mort
 
 
Auteur : Thierry Cros
 
 
 
La mort, le seul sujet sûr et aussi le plus difficile...
Imaginer que l'on est déjà mort et né à nouveau.
J'aimerais être mort, avoir connu cela, puis être revenu. Quel serait l'impact sur l'état d'esprit ? Que nous disent ceux qui ont connu des NDE (Near Death Experience) ?
Avant cela, comme être sûr que l'on n'est pas mort ? Après tout, plusieurs films jouent sur ce thème, en particulier Les autres d'un jeune réalisateur espagnol. Probablement, les émotions devant le beau en particulier, si elles ne sont pas une preuve irréfutable de vie, sont une bonne simulation :). Devant la "9ème" de Beethoven, les "Barricades mystérieuses" de Couperin, le scintillement intérieur du cœur, le frisson dans l'épine dorsale... La preuve par le ressenti dans le corps. Quel est le "beau" qui vous fait frissonner ?
 
Posons le postulat : je suis vivant.
Est-il possible alors d'inventer sa propre mort ? Comment cela s'est-il passé ? Quand ? A quel age ? Accident, maladie, sommeil simplement ?
Supposons...
Je suis mort il y a bien longtemps. J'avais dix ans. Et puis, allez savoir pourquoi, plus d'envie de vivre. Un suicide en quelque sorte. Comment me suis-je suicidé ? Franchement, je ne m'en souviens plus. Pour être franc, ce fut insensible. J'étais vivant... puis mort. Enfin... insensible... la mort elle-même ; si mort il y eut, ce fut bien à cause d'une envie, envie de mourir évidemment. Peu importe finalement. Disons que cela s'est passé pendant le sommeil. Voila, je m'endors et je me réveille mort, si j'ose dire. Avant tout, un fait curieux : sincèrement on ne s'en rend pas compte (que l'on est mort). A posteriori, des signes finissent par s'accumuler : les couleurs moins vives, les goûts moins prononcés, les odeurs fades ou inexistantes. Un peu comme une photo " mate " par rapport à une " brillante ". Ce qui est terrible, c'est l'habitude. On s'habitue à être mort, c'est incroyable ! Comme quoi, on s'habitue à tout…
Un premier enseignement de cette expérience : il est possible de vivre " mort ". D'une part, cela procure plusieurs avantages : on ne risque plus rien… Aussi, rien n'a vraiment de l'importance : il s'est passé cela… Ah bon… Et puis encore, cela règle d'un coup les problèmes de la vie précédente.
D'autre part, c'est frustrant. Oui, franchement c'est frustrant. Je suis mort donc je ne suis plus dans la cohorte des vivants. Ah bien y réfléchir c'est le seul problème de la mort. Et est-ce vraiment un problème ? Qui est vraiment vivant là-dehors ? Et si nous étions tous morts sans le savoir ? Ah oui… La 9ème de Beethoven !
 
Pourquoi suis-je redevenu vivant ?
La réincarnation ? La compréhension moyenne de la réincarnation est à peu près celle du chrétien qui voit Dieu comme le vieux Père qui culpabilise. Comme si cette conscience pouvait se réincarner tel quel… Franchement, pourquoi pas la résurrection des corps à y être ? Ce qu'on peut nous raconter comme bêtise tout de même… Non, si réincarnation il y a c'est probablement celle d'une mémoire, seul intérêt de tout cet univers et de sa conscience (nous). Mais là n'est pas le sujet. Quoique, oui, bien sûr, là est le sujet ! J'étais mort et je ne le suis plus. Je vous assure. Pour être honnête, c'est plutôt un état de mort-vivant. Le problème c'est que cette expression a pris ces derniers temps une connotation désagréable (vous ne trouvez pas ?). Il faudrait prendre cette expression comme le contre-pieds de vivant mort. Avouons la vérité, en fait j'étais un vivant-mort. Çà change quoi finalement ? C'est même un peu plus compliqué (juste un peu plus). Aujourd'hui, je suis alors un Vivant-mort-re-vivant. Voilà la vérité vraie.

Pour être honnête je crois tout de même que certains sont morts et l'acceptent… Incroyable. Tout se passe dans la tête finalement.
Pourquoi suis-je redevenu vivant ?

La question est franchement idiote. La mort serait-elle si plaisante ? Redevenir vivant, naturellement pour profiter de son statut d'ancien mort. C'est aussi simple. Car la mort vous apprend beaucoup de choses, sur la vie en particulier. Il est vrai (je m'en souviens très bien) que cette chance, ne plus rien risquer, est grisante. Pourtant, les couleurs ternes, les joies et peines lénifiées… C'est mortel. Alors l'état de Vivant-mort-re-vivant est vraiment bien adapté à la vie. Je suis mort, donc en quelque sorte immortel (je ne risque plus de mourir, c'est déjà fait). La mort rend immortel, c'est quand même bien fait, la vie ! Et, grâce à Dieu, à nouveau vivant, donc… à moi la 9ème de Beethoven. Légèrement, à quoi bon s'appesantir sur une vie à jamais disparue ? La mort rend léger, c'est certain. Et la renaissance maintient cette légèreté. C'est curieux tout de même : mort (mais vraiment mort) je ne me souvenais pas de ma vie passée, alors que re-vivant, les souvenirs de la mort sont très nombreux. Traverser la vie légèrement. Voilà le truc que m'a appris la mort.
 
Encore autre chose : c'est moi qui décidait de ce qui était illusoire ou pas dans ces aventures entre la vie et la mort. A bien y réfléchir je n'ai pas vraiment décidé, plutôt subi le plus souvent, au début. Et puis les temps changent. La plupart du temps, dans la vie quotidienne, un événement peut être triste ou gai, le même événement ! Je choisis. La mort laisse des traces et je me surprends encore à choisir la tristesse alors que cela pourrait être gai, tout aussi bien. Ce qui signifie tout de même que tout cela, c'est du cinéma. La seule différence est que la gaieté est… plus gaie. Ce doit être mieux car cela fait du bien au corps, ce qui est un signe impitoyable, pas de pitié pour la tristesse…
Dans toute cette histoire, mon corps lui-même n'est pas mort, enfin… Je n'ai rien remarqué de particulier de ce coté là. Le corps est, je crois, indispensable pour rester vivant. Ah… c'est un truc qui vous fait rire ? Moi, pas vraiment, ce serait bien une même vie avec un corps très très léger, moins gourmand ( !), qui demande moins d'énergie, de logistique… et qui offre tout de même les mêmes sensations… Faudrait inventer ce corps là. Léger.
Après tout, cela valait le coup ! Ma vie est passée par une première mort en attendant la prochaine, la vraie d'après l'entendement général. Pour être tout à fait honnête avec vous, je n'y crois pas trop. Pourquoi la suivante serait-elle plus (ou moins) vraie que la précédente ?
Et vous, que vous a appris votre mort ?