Séance à l'assemblée
 

Auteur Nicky Barthe
 
 
 
Foule dans l'hémicycle en cette fin septembre pour discuter du budget. Les députés, regroupés par couleur politique, regardent doctement le président de l'assemblée qui lèvera bientôt son petit marteau d'ivoire pour déclarer la séance ouverte.
La situation internationale est dramatique ; l'Europe, au bord d'une faillite monétaire, menace de se saborder. Malgré la gravité du moment, les députés ricanent et tapent des pieds soulevant la poussière du tapis qui recouvre les gradins de bois de l'immense amphithéâtre. La solennité des murs qui témoigne de la mémoire du Pays ne les atteint plus. Trop de nuits de veilles, trop de palabres ont détruit le symbole du lieu. La cacophonie empêche maintenant Gérard Francon, ministre des armées, de défendre son budget revu cette année à la hausse. Le président tente d'imposer le silence et redouble de coups de marteau. Francon tousse, se racle la gorge ; étranglé par sa chemise, son cou se couvre de plaques rouges, signe de son énervement. Le Premier ministre, Lucien Jalut, l'encourage du geste et de la parole :
" Vas-y Gérard ! " Après son collègue, ce sera à lui de faire ratifier par vote, cette hausse de cinquante millions d'euros, en s'appuyant sur le décret restrictif : n'utiliser cette avance pécuniaire qu'en cas de conflit armé.

Les pourparlers au sein de la communauté européenne se multiplient afin de sauvegarder la paix. Lucien Jalut ne compte plus ses nuits de veille ; délégué par la commission européenne dans la coordination des négociations internationales, il sillonne le monde et à 65 ans dans une semaine, il s'essouffle. La dévorante ambition politique qui l'a mené à cette fonction suprême (le Président n'est plus qu'un fantoche), a toujours dirigé sa vie. Il écoute son ministre défendre d'arrache-pied sa cause, car l'heure est gravissime, ils vont réussir à éviter le massacre, il s'est battu comme une bête en sacrifiant sa vie d'homme. Et là, il décroche : son esprit et son cœur voguent vers sa tendre Zouzou qu'il a connu deux ans auparavant. Amour fou, amour inattendu, leur communion de corps et d'âmes atténue les affres politiciennes qui grignotent sa vie. Il attend d'ailleurs un message et a sommé l'appariteur de le lui donner immédiatement.
Les bravos mêlés aux hués le sortent de sa rêverie ; c'est à lui, à lui avant le vote final de convaincre. Il grimpe à la tribune, plein de Zouzou, encore abasourdi par ses pensées incongrues. Pour se donner contenance, il se gratte le crâne, mimant sans en avoir conscience son prédécesseur dans la chaîne de l'humanité, le singe.
Il harangue les députés en optimisant les décisions de leur dernière réunion ; en grand routier de la politique ses intonations fluctuent entre confidences et provocations. Il joint parfois le geste à la parole et magnétise l'auditoire, c'est un grand orateur. Son pouvoir est indéniable, les cris des collégiens attardés deviennent murmures au fil des paroles du Premier ministre.
Discrètement  l'appariteur, sur une coupelle d'argent, apporte un billet rose ; il continue son discours, habilement il déplie la lettre au parfum fruité, le contact soyeux du papier qu'il effleure évoque la peau satinée de Zouzou ; Il continue de parler en compulsant ses notes, ouvre le billet et lit :
C'est fini, je me marie demain.
Il lève ses yeux rougis de fatigue, l'éclairage de la salle lui semble opaque et il dit :
"  Messieurs, c'est la guerre ! "
 
Le 25 septembre 2020 fut déclarée la troisième guerre mondiale !