La sardine a bouché le port
 
 
Auteur Marie Liehn
 
 
 
 
- Hé, Marcel ! La pêche a été bonne, ce matin ?
- Bé, Je n'ai rien pris !
- Peuchère de toi !
- Hé oui, le temps n'est plus où les sardines bouchaient le port.
- Tu crois à ça, toi ? Quelle bestiasse, tu fais ! Marcel , c'est une histoire pour les fadas !
- Bonne mère, tu déparles ! Pour les fadas ? Qu'est-ce que tu en sais ?
- T'ias pas vu comme c'est petit, une sardine. Il en aurait fallu des sardines et des sardines pour boucher le port !
- Peuh !
- Hé bé oui, nigaud, je vais te la raconter, moi, la vrai histoire de la sardine. Allons nous assir là-bas, sur ce banc.
 
- Ecoute-moi bien.
Le 17 avril 1780, après avoir dépassé les Açores, un navire français aux intentions pacifiques croise un navire de guerre anglais qui le prend pour un ennemi. L'Anglais lâche sur le pauvre bateau français une bordée et des tirs de mousqueterie au cours desquels le capitaine Dallest est tué avec quatre de ses hommes.
- Mais c'était aux açores. Qu'est-ce que ça a à voir ?
- Laisse-moi continuer !
Le capitaine anglais s'aperçoit, un peu tard, c'est vrai, qu'il s'est trompé. Il se porte au secours du navire français qui, réparations faites, poursuit sa route vers Marseille avec un nouveau capitaine, puisque le premier est mort.
- Je ne comprends toujours pas le rapport avec la sardine.
- Boudhi, laisse-moi finir ! Tu vas voir.
Barras, tu connais Barras, hé bé il a écrit dans ses Mémoires que le bateau français s'est échoué à l'entrée du port par la maladresse du remplaçant du capitaine qui a été tué par les anglais.  Tu m'as bien entendu ? Ils ont échoué à l'entrée du port…
- Je ne vois toujours pas de sardine.
- T'es teston, toi quand tu t'y mets, hé !
Le bateau se nomme La Sartine ! La Sartine, oui. Monsieur De Sartine était le ministre de la marine de Louis XVI.
- Je veux bien, moi, mais la Sartine, c'est pas une sardine !
- Avec le temps, le mot a dû se déformer, grand couillon !
Mais il y a mieux. Sur le blason de Monsieur de La Sartine était dessinée " une bande d'azur chargée de trois sardines d'argent ". De là, à ce qu'on ait nommé familièrement le bateau La Sardine, pour se moquer du Ministre…
 
- Surtout si le bateau arborait ses armes. Hé bé, quand je vais apprendre ça à Monette ! Adieu, je vais la lui raconter.
- Tchao, à demain. Et surtout, ne te nègue pas dans un verre de pastaga !