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Sensation
de l'Espace
Auteur : MC
Citti
Ici ce sont les vacances, elle sort
très tôt le matin et va se promener. Elle n'est pas assez hardie, au début, pour
prendre les sentiers montagnards. Mais de la maison au bord de la rivière, elle
suit la route, qui doucement monte vers Arphy avant de tourner abruptement vers
la départementale qui grimpe au col du Minier.
Au début de
sa promenade, elle peine un peu, ses poumons enfumés par les cigarettes mettent
du temps à se dégager. Et puis, enfin, les voilà libres, son sang s'oxygène,
elle marche sans effort.
Il n'y a
autour d'elle que la montagne, un ruisseau, des buissons, des arbres. Des arbres
là depuis des années et qui jamais ne voyagent. Seul le vent fait bouger leurs
feuilles, mais eux restent enracinés. Ils n'ont pas besoin de se déplacer ni
pour se nourrir, ni pour se reproduire. Ils sont là, et c'est tout. Elle, elle
marche. Sa marche pourtant n'en est pas une, elle ne
part pas, ne s'en va pas, ne quitte pas les arbres, les fleurs, le ruisseau. A
chaque pas elle démontre la puissance de l'attraction terrestre. Elle est d'ici,
où qu'elle aille, toujours à sa place.
Il lui
semble sentir comme une force qui la relie jusqu'au point qui lui correspond sur
l'autre face de la terre. Elle est terrienne. Le point où son pied se pose est
son point d'attache, son point de vie, son point d'union. D'autres lignes autour
d'elle s'étendent, se croisent sur la surface du globe terrestre, ce même sol où
se trouve en ce moment son fils, de l'autre côté de l'Océan, à des milliers de
kilomètres : elle le ressent.
S'oublie alors son histoire. Elle est.
Elle se contente d'être. Et de son être temporel ne surgissent que des souvenirs
semblables : elle est là, sur cette route des Cévennes, dans cette même
impression de certitude et d'apaisement qu'à Tahiti, les pieds posés sur le
sable noir, quand elle regardait en face l'île de Moorea, ou encore dans le
désert marocain au sommet de la dune. A chaque fois c'est un moment de plénitude
d'existence. Comme si tout l'infini de l'espace se rétrécissait à sa propre
dimension et qu'étant ici, elle était partout. Mais lestée, toujours, solide,
les pieds sur le sol : un arbre, dont les racines indestructibles s'étendraient
dans la terre entière. Un ici et un ailleurs confondus.
C'est
l'espace hors du temps, hors du temps de l'homme, hors de la durée, ce n'est
même pas l'instant, c'est l'espace, le rapport à l'espace, au sol. C'est la
paix. Une simplicité végétale. Je suis un arbre. A ma place. Je n'ai pas à me
justifier d'exister. Je fais partie de la terre. Je vis.
Mais à la fin
de la promenade, quand elle revient dans la vallée où tous sont maintenant
réveillés, cet état de parfaite cohésion, de parfaite coïncidence, de parfait
amour entre elle et le monde, disparaît peu à peu. Il n'en reste que cette
impression de simplicité entrevue, de bonheur possible, d'un amour présent, là,
quelque part, dans un hors du temps, accessible et qui pourtant se cache.
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