Lettre ouverte au directeur de l'hôpital
 
 
Auteur : Sylvie Delmas
 
 
 
Monsieur le Directeur de l'Hôpital,
Je me permets de vous adresser ce courrier ce jour afin de porter à votre connaissance un dysfonctionnement au sein de vote établissement dont vous n'avez peut-être pas conscience.
Vous avez décidé d'appliquer la Charte "Hôpital sans tabac". Il est donc interdit de fumer dans l'enceinte des murs, aucun endroit ne dérogeant à cette règle.
 
Fumer ce n'est pas bien…
Je tiens à préciser que mon propos n'est pas ici de faire l'apologie du tabac et que je ne revendique pas le droit de fumer en tout endroit, sans tenir compte des autres.
Je demande simplement que le fait d'être fumeur soit considéré, au sein de l'hôpital, comme une réalité. Il est reconnu par tous, maintenant, qu'un fumeur qui ne peut fumer, souffre. Or, vous avez délibérément décidé d'ignorer cet état de fait. Toute personne entrant dans votre établissement doit se comporter comme un non-fumeur.
Le tabac est nocif, j'en suis convaincue.
Mieux vaut être non-fumeur que fumeur, c'est certain.
Les fumeurs ne doivent pas fumer dans les lieux publics, je vous l'accorde.
Les fumeurs doivent faire le maximum pour ne pas gêner les autres, je ne le discute pas.
Mais pensez-vous sérieusement, Monsieur le Directeur, qu'un fumeur, du simple fait qu'il franchit les portes coulissantes de votre établissement, devient un non-fumeur ?
 
…mais chez vous, le fumeur est pénalisé
Que ressent toute personne, quelle qu'elle soit, qui entre à l'hôpital ? Elle stresse.
Que fait un fumeur lorsqu'il stresse ? Il fume.
Et quelle est la première chose qu'on lui interdise lorsqu'il entre ? De fumer…
Tout fumeur qui entre dans votre hôpital est, d'emblée, pénalisé.
Le confort du patient devient important, ses problèmes psychologiques sont pris en compte. Mais le fait de fumer n'est pas considéré dans cette démarche. Tout le monde est donc ramené au rang de non-fumeur, sans observation des spécificités des fumeurs. Votre charte est exclusivement adaptée aux non-fumeurs.
Tout fumeur qui entre dans votre hôpital est doublement pénalisé.
 
… de plus vous ignorez délibérément la réalité
Que, pour vous, fumer soit une drogue, une tare, un vice, un pêché, une maladie, un manque de volonté, une corruption, un acte du diable que sais-je… il n'empêche que fumer est une réalité, réalité que vous avez décidé d'ignorer délibérément au sein de "l'hôpital sans tabac".
Je fume depuis 35 ans et, lorsque j'ai franchi vos portes, vous n'étiez pas là pour me donner le coup de baguette magique qui m'aurait transformée en non-fumeur ! Je suis entrée fumeuse et le suis restée tout le temps de mon séjour.
Je me suis interrogée sur la raison profonde de la politique de l'hôpital sans tabac ?
Que les gens arrêtent de fumer à l'occasion d'une hospitalisation ? Comme ça, en quelques jours, sans raison, sans autre motivation… personne ne peut y croire…
Que les hospitalisés fumeurs prennent conscience qu'il ne faut pas fumer ? Vous croyez qu'interdire dissuade ? Je suis convaincue du contraire…
Que les non-fumeurs soient protégés ? Ils le seraient également s'il existait une salle réservée aux fumeurs…
Que votre établissement, sacrifiant les fumeurs sur l'autel de la prohibition, soit bien considéré ? Je ne peux y croire !
La chasse au fumeur est ouverte. Il est de bon ton de le traquer, de le stigmatiser.
Les fumeurs sont devenus des pestiférés, des parias à mettre au ban de la société, tout juste bons à être jetés en pâture à la vindicte publique.
 
Pourquoi ne pas prévoir une petite salle pour les fumeurs ?
Je voudrais vous conter, sans exagération aucune, une anecdote, réelle, vécue.
3 jours après avoir subi une grave opération, lorsque j'ai commencé à reprendre mes esprits, ma première idée a, bien entendu, été de fumer une cigarette. Ignorant la rotation incessante des murs de ma chambre, je me suis habillée. Puis, usant de mon pied à perfusion comme d'une canne, j'ai vacillé le long d'interminables couloirs, et enfin atteint les portes ouvrant sur la liberté et… le parking. Un banc aurait pu m'accueillir, mais pour y parvenir il me fallait franchir une petite pelouse trop chaotique pour mon pied à perf et mes jambes tremblantes. Alors je me suis assise sur le rebord en pierre, inconfortable, dur, froid, d'à peine 5 cm de largeur, d'une jardinière, devant la porte… et j'ai allumé ma cigarette… sous la pluie… en plein vent… ma perfusion dans le bras… mal protégée par des vêtements ouverts, puisque je ne pouvais les enfiler complètement.
Était-ce bien raisonnable, Monsieur le Directeur ? Quels étaient les risques médicaux encourus de me trouver, si tôt après mon opération, dehors, bousculée par les allées et venues des visiteurs, par une température de 3 degrés, sur un parking balayé par la pluie et le vent ?
Je vous entends dire : "Mais Madame, vous y êtes allée de votre plein gré, personne ne vous y a forcée, vous pouviez tout aussi bien rester vous reposer dans votre chambre !"
Bien sûr, Monsieur le Directeur, mais s'il y avait eu un endroit, au chaud, où je puisse fumer, je ne serais certainement pas sortie ! Pourquoi ne pas mettre une salle à disposition des fumeurs ?
Je pensais, durant mes séjours, aux alcooliques. Eux au moins peuvent rester à l'intérieur. Mais nous, pauvres fumeurs, grands pécheurs devant la Médecine, on ne peut malheureusement passer inaperçus, on nous sent de loin !
Prenez en considération, s'il vous plait, qu'un fumeur est un fumeur, quelles que soient les circonstances…
Votre règlement ignore délibérément cette réalité, et ce au nom de la bonne conscience collective, de la mode médiatique qui veut que l'on crie haro sur le tabac !
Pourquoi, Monsieur le Directeur, ne pas aménager un endroit où l'on puisse fumer ?
Parce que ce ne serait pas de bon ton ?
 
Pourquoi ne pas adapter le règlement ?
Je citerais un autre fait, lui aussi parfaitement réel et vécu :
Lors d'un autre séjour, je partageai ma chambre avec une fumeuse, qui, suite à un examen, devait rester allongée durant 24 heures sous peine d'hémorragie. Bien évidemment, n'étant ni malade, ni inconsciente, l'envie de fumer se fit rapidement sentir. Elle demanda l'autorisation d'allumer une cigarette à l'infirmière qui lui fit la morale, refusa énergiquement, la menaçant de toutes les représailles si elle s'avisait de passer outre. J'eus beau affirmer que, fumeuse moi-même, cela ne me gênait nullement, que cela me paraissait important pour elle, rien n'y fit. L'infirmière partie, je vis ma voisine rejeter ses draps et commencer à se lever en disant "Bon sang, tant pis, je sors !" J'intervins rapidement. Prenant une bouteille d'eau, je la vidai aux deux tiers, puis lui expliquai le principe, bien connu des pensionnaires : souffler la fumée lentement à l'intérieur puis la faire dissoudre dans l'eau en secouant la bouteille prestement refermée. Par sécurité, lorsqu'elle avait terminé, je vaporisais dans la chambre force déodorant corporel. Elle fuma ainsi plusieurs cigarettes entre ce midi-là et le lendemain matin. Le personnel soignant, pourtant suspicieux du fait de sa demande ouverte, ne sentit rien.
Sans mon intervention, elle serait sortie. Et s'il lui était arrivé quelque chose, Monsieur le Directeur, je vous entends lui dire : "Mais Madame, vous avez agi de votre plein gré, en toute connaissance de cause !"
Bien sûr, mais si on lui avait donné une autorisation très exceptionnelle, tenant compte de circonstances particulières, elle ne se serait pas levée.
On prendra en considération un drogué en état de manque, car son attitude, spectaculaire, est médicalement reconnue. Mais un pauvre fumeur est une quantité négligeable.
Pourquoi ne pas adapter le règlement aux circonstances ?
 
Pensez-vous le moment bien choisi ?
Oh, bien sûr, dans votre hôpital, une personne est à la disposition de ceux qui veulent arrêter de fumer. Mais, lorsque l'on arrive chez vous, malade, pensez-vous le moment bien choisi pour arrêter de fumer ?
Pensez-vous que cette démarche, difficile, puisse être couronnée de succès, alors que l'on a, à ce moment précis, bien d'autres choses à gérer que l'arrêt du tabac ?
Ne croyez-vous pas que les rouages psychologiques d'un malade broient suffisamment son moral ? Pensez-vous réellement le moment bien choisi pour une telle entreprise ?
Même les tabacologues disent que toute tentative d'arrêt du tabac est vouée à l'échec sans le consentement intime, profond, convaincu, de l'individu concerné. Pensez-vous sincèrement que, parce qu'on entre à l'hôpital, on a obligatoirement envie d'arrêter de fumer ? Non, absolument pas, je dirais même au contraire, pour une large majorité. Certains peuvent souhaiter profiter de l'occasion, mais, d'après tous les fumeurs que j'ai pu rencontrer dans vos locaux, ils sont bien peu nombreux, même en comptant ceux qui souffrent d'une maladie directement liée au tabac.
Pensez-vous sérieusement qu'interdire convainc d'arrêter ?
 
Saviez-vous que rien n'arrête un fumeur ?
Je donnerai un dernier et court exemple :
Il concerne un homme rencontré chez vous, sur le parking bien entendu. Fumeur mais hospitalisé d'urgence, il n'avait sur lui que très peu de cigarettes. Habitant une autre région, il ne recevait aucune visite. Je lui avais cédé deux paquets, mais je n'en avais presque plus. Et, bien entendu, dans un hôpital sans tabac, le marchand de journaux n'est pas autorisé à en vendre. N'osant s'adresser au personnel soignant, que croyez-vous qu'il fit, Monsieur le Directeur ? Il enfila un vêtement par-dessus sa chemise d'hôpital et, pied à perfusion roulant tant bien que mal sur les trottoirs, il partit acheter des cigarettes à plus d'un kilomètre de là !
Peut-être pensiez-vous, Monsieur le Directeur,
que ne pas vendre de cigarettes dans l'hôpital était dissuasif ?
 
Figurez-vous que même les non-fumeurs apprécieraient !
Je terminerai par la convivialité qu'instaure le tabac. Je l'ai maintes fois vérifié, les seules personnes entretenant des relations entre elles à l'hôpital, sont les fumeurs.
Dans un autre établissement, où nous disposions d'une salle, nous nous retrouvions tous régulièrement, de nombreuses fois par jour. Mais savez-vous quoi, Monsieur le Directeur ? Nombreux étaient les malades NON-fumeurs qui nous rejoignaient pour bavarder, pour quitter leur chambre, pour avoir des contacts, parfois pour trouver un réconfort.
Mais chez vous, Monsieur le Directeur, quel non-fumeur va sortir sous la pluie ou dans le froid, juste pour bavarder ? En dehors du tabac, aucune motivation ne sera suffisamment forte pour cela. Et ne m'opposez pas les machines à café : placées dans des endroits de passage, encombrés, bruyants, elles ne favorisent pas les échanges entre malades. Il n'existe pas, dans votre établissement, un seul endroit où les malades puissent se retrouver.
Chez vous, l'isolement est de rigueur.
 
Arrivé à cette ligne, Monsieur le Directeur, vous vous dites : "Bon, finalement, elle souhaite en revenir au règlement traditionnel des hôpitaux, avant la charte "Hôpital sans tabac", où il y avait des lieux réservés aux fumeurs.
Exactement ! L'"Hôpital sans tabac" est une négation de la réalité qui n'a d'autre fondement que de s'inscrire dans l'actuelle stigmatisation des fumeurs.
 
…alors, en conclusion
Monsieur le Directeur, lorsque vous avez décidé la mise en place de cette Charte, peut-être ignoriez-vous que rien n'arrête un fumeur qui a envie de fumer, que personne ne sera plus inventif, plus ingénieux, plus roublard qu'un fumeur déterminé, qu'il sera capable de braver tous les dangers, de surmonter toutes les difficultés. Mais maintenant, vous le savez, et vous pouvez en tenir compte.
Vous ne voulez pas ? Alors, soyez honnête, allez jusqu'au bout de votre raisonnement et, sans plus vous cacher derrière la Santé Publique, ayez le courage de placardez sur vos murs, au lieu de votre slogan habituel, celui-ci, bien plus franc :
 
LES FUMEURS, DEHORS !
De toutes façons, vous vous ruinez déjà la santé avec vos cigarettes, alors,
vous pouvez bien faire un malaise en ville, attraper une bronchopneumonie sur le parking de l'hôpital, ou mourir, victime d'une hémorragie !
C'est tout ce que vous méritez !
Et surtout, surtout, nous ne voulons pas le savoir !
Nous, nous sommes un HÔPITAL SANS TABAC !
 
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