Auteur inconnu
Un prêtre, un libertin notoire et un simple ébéniste étaient
attablés à dîner et la discussion allait bon train.
Le prêtre parlait ainsi:
"Croyez-moi, Dieu exige de nous que nous bannissions les
plaisirs vils qui satisfont le corps en laissant l'âme insatisfaite. La joie
n'est rien d'autre que le renoncement à l'amour physique, aux mets sophistiqués,
aux parfums et aux spectacles !"
Le jouisseur tenait un discours opposé :
"Il n'en est rien, curé ! Où trouver la béatitude, sinon dans les
plaisirs du corps que Dieu nous a donné pour jouir jusqu'à l'excès des femmes,
des hommes, de la bonne chair et des spectacles nocturnes ?"
Enfin, lorsque ce fut au tour de l'ébéniste de prendre la parole,
il dit:
"Si vous avez raison, l'un ou l'autre, je suis donc bien à
plaindre car mon mode de vie est très éloigné de ce que je viens d'entendre: je
travaille avec bonheur les meubles qu'on me commande, je me couche tôt et je me
lève plein d'entrain, ma femme m'aime et je l'honore dès que j'en ai envie, je
ne mange pas de plats apprêtés, mais je les trouve succulents et je m'arrête
lorsque je n'ai plus faim.
Mais, je l'avoue, il m'arrive de rire de bon cour à certains
spectacles avec autant de plaisir, ma foi, que j'en ai à écouter silencieusement
les discours de certains penseurs.
Je me crois heureux. Et que Dieu me vienne en aide si mon
comportement Le déshonore."
Par miracle, les paroles de l'ébéniste furent entendus et Dieu
apparût au milieu du prêtre, du libertin et de l'ébéniste ébahis.
"Croyez-vous, hommes, que votre Dieu se réjouisse quand vous vous
infligez des souffrances inutiles ? Prêtre, sache qu'aucune peine n'est
vertueuse ! Libertin, sache que l'excès de plaisir est contraire au plaisir même
! Quant à toi l'ébéniste, continue de varier tes plaisirs, ta joie M'honore et
te rapproche de Ma Perfection."
Les hommes ont toujours débattu du meilleur moyen de plaire aux
divinités. Ils se sont infligés et continuent de s'infliger de nombreuses
souffrances en prétextant qu'ils se rapprochent ainsi de leurs protecteurs.
Les pires excès sont alors commis.
Croyez-vous qu'éprouver des joies simples soit dégradant ?
Pensez-vous vraiment que l'accès modéré aux plaisirs du corps vous
rend moins parfait ?
Le bonheur, c'est le plaisir sans
arrière-pensée.
Socrate